MARTIN MARGIELA, L’ANGE D’UNE ANGEVINE - MILLON
« Madame, je crois que vous avez mis votre robe à l’envers ! »l’apostrophait-on dans les rues d’Angers à la fin du siècle dernier. « Madame, madame, vous avez oublié d’ôter vos étiquettes ! » Ces petites phrases, qui la faisaient - et la font encore aujourd’hui - sourire, Christine les a entendues plus d’une fois. Car la kiné angevine s’habillait en Margiela, tout en Margiela, exclusivement en Margiela.
Nous sommes dans le Maine-et-Loire, aux confins des décennies 1990 et 2000. Celle qui défie les codes de la bourgeoisie de province découvre alors Malika, un multimarques d’Angers distribuant à l’époque Martin Margiela, Yohji Yamamoto, Capucine Puerari ou encore Ann Demeulemeester. Avec quelques rivales locales initiées, Christine s'y dispute hardiment les dernières nouveautés du créateur belge, génie de la mode conceptuelle et cérébrale. Et Malika de devenir son immanquable rendez-vous du mercredi, une fois ses deux enfants déposés à leurs activités respectives. « C’était ma récréation, se souvient Christine. Je m’évadais, loin de mon travail, des malades et des personnes en fin de vie que j’accompagnais au quotidien. J’endossais un autre rôle, c’était ma parenthèse enchantée ».
De ces escapades buissonnières hebdomadaires, elle revient le coffre empli de trésors déconstruits, aux bords effilochés et aux manches déstructurées. « Il m’arrivait de laisser mes achats plusieurs semaines dans la voiture, avant de les transférer discrètement au fond de mon placard ! » conte Christine avec malice. Car son époux, notable local, n’apprécie guère, en tout cas pas sur sa femme, l’esthétique d’avant-garde radicale de Margiela. Ce qui n’empêche pas l’esthète visionnaire, mue par sa passion pour cette mode à nulle autre pareille, de faire fi du qu’en-dira-t-on et de poursuivre ses audacieuses emplettes au coup de coeur, se constituant à l’instinct et à mille lieues de son milieu une garde-robe d’inconditionnelle collectionneuse. Une anthologie sur deux décennies, singulier témoignage de la mode Margiela édifié à rebours des convenances.
Rhapsodie d’étiquettes blanches pour une affranchie absolue de l’étiquette.
Par Angèle Hernu & Pénélope Blanckaert
13 SEPTEMBRE 2022