BRITA VON MAYDELL & KARL LAGERFELD : L’AMITIÉ MODE IN GERMANY MILLON - MILLON 2023

1974 : « enceinte jusqu’au menton », la jeune journaliste Brita von Maydell se dirige vers la place Saint Sulpice pour un rendez-vous avec Karl Lagerfeld, alors nouveau styliste en vue de la maison Chloé. Incapable de se concentrer car juchée sur un tabouret de cuir vêtue d’une robe en soie, Brita, mourant de peur de glisser, savoure déjà les particules élémentaires d’une amitié balbutiante à nulle autre pareille. 
 
Entre Karl et la Prussienne - « une vraie : je claque des talons et dors avec un casque à pointe », confesse Brita dans un sourire -, se dessinent les prémices d’une relation de proximité singulière qui ne se tarira que peu de temps avant la disparition du Kaiser.
 
« Ça n’était pas si facile d’être Allemand en France à l’époque. Nos rendez-vous, c’était un peu la diaspora allemande ! Karl n’était pas nostalgique de l’Allemagne, mais y était attaché. Il avait son accent si caractéristique et une certaine façon de penser typiquement germanique. » 

Brita accompagne le couturier dans ses folles nuits au Sept ou au Palace, lorsqu’encore couche-tard, il reste assis pour mieux observer et commenter les baladins de la piste de danse. Elle s’abreuve de ragots avant de le retrouver pour le rassasier de ces potins potaches qu’il savoure. Elle lui rappelle son Allemagne natale et culturelle, dont il semble se rapprocher en vieillissant, les deux compatriotes débattant ensemble d’actualité, de politique et d’Angela Merkel…  

Lors de leurs nombreux voyages professionnels, Brita est bonne joueuse. A bord d’un jet privé, Karl lui fait passer le message, via Sébastien Jondeau, qu’il faut qu’elle change de siège pour laisser au maître le loisir d’allonger ses jambes ; ou qu’elle retire hâtivement sa main du pelage de Choupette ; elle n’a pas à s’octroyer le privilège de caresser la bête sacrée. « Il était extrêmement fidèle en amitié, analyse Brita, mais il y avait dans tout ce qui l’entourait des normes très strictes qu’il ne fallait certainement pas transgresser. » Ce jour également où, installée dans le même hôtel que lui en Allemagne, elle le guette et l’attend plusieurs heures pour regagner la France : « il avait beaucoup, mais vraiment beaucoup de valises, comme toujours, même pour une nuit. Je pose mon tout petit bagage à côté de l’amoncellement des siens et sur le chemin de l’aéroport, l’hôtel m’appelle pour me dire que mon sac était resté sur le trottoir ! La garde rapprochée de Karl me signifiait ainsi que j’aurais bien pu m’en occuper moi-même ! »

La colossale culture de Karl n’a d’égal que son humour. « Il jouait avec son image, se souvient Brita. Il n’hésitait jamais à faire des blagues sur lui-même, mais ce privilège lui était exclusivement réservé ! » Brita, après avoir travaillé en free-lance, remplace la directrice des bureaux parisiens de Burda. C’est à ce titre qu’elle escorte Karl à la remise des Bambi, cérémonie de récompenses artistiques décernées par le groupe de média allemand. Elle se remémore avec tendresse les entrées in extremis sous les projecteurs, et cette soirée où, ne le voyant pas arriver malgré l’insolente avancée des aiguilles, elle monte dans sa chambre s’enquérir de l’évolution des préparatifs : « après m’être préparée au pas de course, car nous étions vraiment très en retard, je frappe à sa porte, et il me demande son avis sur sa tenue - « ça va, ça va ? Sinon j’ai autre chose, je peux vous montrer » ; il était très coquet et prenait du temps pour se préparer, très attentif à son image. Je lui dis « non, non, la cérémonie a déjà commencé ! » Je l’embarque dans l’ascenseur, où une dame très enceinte marche malencontreusement sur un pan de ma robe. Crac ! Tout tombe, me voilà les fesses à l’air ! En rentrant de la cérémonie, Karl marche sur l’autre pan des restes de ma robe, et paf, tout retombe ! Il me dit avec un naturel déconcertant : « c’est parfait, vous pourrez dire que c’est Karl qui l’a déchirée ! » ».

Cependant, malgré l’intimité partagée, les voyages et les déjeuners en comité restreint, les cadeaux attentionnés, Brita von Maydell ne se considère pas comme « une véritable amie » de Karl Lagerfeld. « Il se préservait. Il était dans sa tour, il ouvrait quand il voulait à qui il voulait mais il ne laissait pas vraiment entrer les gens. C’était un homme curieux, extrêmement généreux et ouvert, parfois manichéen et autoritaire. Il n’aimait pas le contact physique, mais il me prenait le bras quand je boudais, me disant que j’étais comme sa petite sœur. » Et Brita de conclure « il me manque terriblement, je pense très souvent à lui et lui demande encore son opinion sur plein de choses … »

Par Angèle Hernu & Pénélope Blanckaert

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